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LE LUNE ET LA SOLEIL

Dernière mise à jour : 3 avr. 2023

La langue française nous a habitué à une lune au féminin et à un soleil au masculin. Pourtant, partout dans les sociétés archaïques, la lune se manifeste comme un personnage masculin. C’est ce qu’attestent tous ces langages anciens, comme l’allemand, qui conservent une lune au masculin et un soleil au féminin. LE Lune et LA Soleil.



Nouvelle lune

Cependant, lorsque la lune se cache avant de renaître, elle réintègre la matrice qui, elle, est féminine. Lorsque la lune se cache, surgissent alors des profondeurs de la terre et du bouillonnement des eaux fraiches les vouivres ou les fées. Autant donc de manifestations de la fécondité printanière. Elles sont inséparables du principe féminin de vie. De fait, les fêtes qui saluent le printemps célèbrent la féminité : autrement dit la fécondité, la Nouvelle lune — la lune noire. La Nouvelle lune se tient côte à côte des puissances aquatiques et sous-terraines (chtoniennes). La Nouvelle lune se tient donc du côté féminin.


C’est pourquoi, les carnavals connaissent autant de personnages féminins sombres, parfois le visage couvert de suie. En revanche, la pleine lune est associée à un personnage masculin blanc, lumineux : celui qui survivra dans l’imaginaire carnavalesque et théâtral comme le Pierrot lunaire. Le tableau du disciple anonyme de Jérôme Bosch représentant les personnages Mardi gras les intègre à une grande danse où se rencontrent les figures sombres de la Nouvelle lune et les figures lumineuses de la Pleine. Avec eux on remarque le personnage ambigu du premier (ou dernier) quartier de lune.


Tableau : Le Combat de Carnaval et Carême (suiveur de Bosch) (vers 1555)

La belle saison voit la vie renaître des sols. Et depuis les origines de l’humanité, la mère est associée à la vie et à sa perpétuation. Contrairement à ce que l’on peut parfois lire, les peuples premiers n’ignorent pas que l’homme ait un rôle dans la reproduction, mais considèrent ce rôle comme mineur. C’est l’action des esprits et l’œuvre de la mère qui sont décisifs. C’est la mère qui accueille l’esprit venu du monde invisible en son sein, lui donne chair, le fait croître et l’enfante, de sorte que le cycle de la vie se perpétue dans le monde visible.


Qui donne la vie ?

Après le néolithique, en Grèce classique notamment, surgiront des théories philosophiques qui considéraient au contraire l’homme comme agent procréateur unique ou du moins principal. Tandis que les disciples d’Hippocrate tiennent à une contribution à la reproduction partagée, Aristote affirme que la semence de l’homme constituerait la cause formelle (essentielle) de la génération tandis que la femme en serait la cause matérielle. L’opinion sera souvent que l’homme déposerait un humain miniature dans le sein maternel pour qu’il y grandisse comme le pain dans un four.


En revanche, dans les univers archaïques, les entrailles de la mère portent la vie, mieux, sont la vie. Et de même, le monde invisible des esprits, au sein duquel le nôtre est enchâssé, est perçu comme une matrice bien évidemment féminine. La trame cachée du cosmos est féminine. Elle irrigue toute chose avec la force chaotique de l’eau qui jaillit des entrailles de la terre. C’est aussi la demeure de la figure féminine originelle, de la vouivre ou de quelque autre reptile aquatique primordial. D’une certaine manière, vue dans leur totalité, la figure primordiale féminine et le cosmos ne sont qu’un. C’est davantage le monde visible qui fait place à la dualité féminin-masculin. C’est dans ce monde que les distinctions se manifestent.


L’un et le distinct

L’éclat croissant, plein, ou décroissant, de « le » Lune vient donner la mesure — les règles — des cycles vitaux propres au monde visible. Quand il se cache dans la matrice du monde invisible des esprits, sa lumière disparait. Il fait place au chaos vivifiant mais un peu dangereux du monde caché des esprits. Mais quand le croissant ou le disque lunaire éclaire la nuit, l’ordre du monde visible, complémentaire au chaos vivifiant invisible, vient poser des limites à ce dernier. Le sang menstruel féminin est ainsi toujours envisagé dans les cultures archaïques comme le signe par excellence du pouvoir féminin sur la vie. D’où la force protectrice et thérapeutique qui lui est associée ; d’où l’impureté terrifiante que lui accolent les cultures plus tardives.


Mais la règle elle-même sur laquelle se construit le cycle est associée au monde visible et au principe masculin. Même si ce principe masculin ne tire son existence et sa force que de l’énergie vitale que lui délègue la matrice féminine originelle. À l’image de la lumière du (de la) soleil que reflète la (le) lune. Certes la matrice contient le principe mâle mais dans une forme d’indistinction potentielle. Les personnages de nos fêtes anciennes en sont le reflet. Si notre monde visible a un besoin vital du chaos matriciel informe — ambigu —, il a autant besoin des innombrables distinctions irréductibles qui justement le constituent et le distinguent pour ce qu’il est. Le monde visible est le monde de l’ordre, qui ne peut exister sans lui, mais qui meurt sans la présence du chaos vivifiant.


© Matthieu Smyth

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