En fêtant le printemps, sous le signe de la pleine lune, on célèbre avant tout la féminité, et de ce fait la fécondité, tout comme les puissances aquatiques et chtoniennes qui la figurent. Les vouivres ou les fées, venues du monde sous-terrain avec l’eau qui jaillit des fontaines, incarnent la fécondité féminine printanière. La vie s’écoule du sol. Et c’est au ventre maternelle, rempli de la force des esprits, qu’il revient de transmettre et perpétuer la vie. La matrice de notre monde, même si elle contient aussi un principe masculin, est une figure fondamentalement féminine. C’est elle qui est primordiale. Le mystère caché derrière le monde visible est féminin. Il anime la totalité des êtres à l’image de l’eau née de la terre.
Une lune printanière
Cette célébration, connue aussi sous le nom gaëlique de BealtaIne, salue le début de la belle saison. Elle a fini par être fixée au 1er mai mais originellement elle se situait autour de la pleine lune à mi-chemin du printemps et de l’été. Au XIXe siècle, elle était encore très vivante en Irlande, au Pays de Galle et en Écosse.
Il s’agissait donc avant tout de célébrer la dimension féminine de fécondité de la belle saison. Ce n’est pas un hasard si la Rome antique avait fini par célébrer Cybèle, la Grande Mère, en avril, tant cette symbolique était vivante dans les cultures. Ce désir de célébrer la féminité et la fécondité du printemps traversa sans difficulté l’ère chrétienne. L’intuition d’un caractère féminin du printemps va rester vivant dans la culture populaire.
À travers ce qui en a survécu, nous pouvons vois que cette fête apparaît synonyme de feux de joie. C’est un élément classique de toutes les célébrations, mais en cette saison, ils semblent bien liés à une crainte de voir les frimas revenir — une crainte commune à toutes les cultures septentrionales mais tout particulièrement forte dans les mondes devenus agricoles. La lumière des feux dans la nuit chasse les esprits hostiles qui pourraient retarder la venue de la belle saison, autant qu’elle éloigne les prédateurs. Les Saints de Glace (Mamert, Pancrace et Servais en France) sont les héritiers médiévaux bien involontaires de ces esprits dangereux, capables de détruire les futurs récoltes.
Cette crainte était déjà très vivante dans les célébrations printanières de la Rome antique, lesquelles seront christianisées en Gaule au Ve siècle sous le nom de Rogations. Par ailleurs, les feux de Bealtaine seront adaptés en Irlande au rituel chrétien de la Vigile pascale — sous le nom de bénédiction du Feu nouveau. Il faut y voir une relique d’un temps où l’on estimait encore devoir célébrer l’appropriation par les humains de la magie du feu.
Et le soleil
Les feux de la Saint Jean, qui célèbrent le solstice d’été, étaient naguère très populaires dans toute l’Europe. Il est probable que leur succès est lié à l’hégémonie progressive du cycle solaire en Occident et à la diffusion de l’agriculture. Ces feux de joie paraissent même une extension de ceux de Beltane. Cependant l’intensité du soleil et la longueur du jour sont des questions assez importantes dans les contrées septentrionales pour peut-être avoir été envisagées comme devant faire l’objet d’une célébration avant même le néolithique. L’idée que les feux de joie doivent chasser les mauvais esprits lorsque le soleil regagne peu à peu le sud est en tout cas bien attestée dans les pays nordiques qui célèbrent Midsommar.
L’arbre
D’autres éléments apparaissent qui ne semblent pas moins importants. Un grand nombre de rites ayant survécu, notamment en Irlande, mettent en scène un arbre, un buisson ou une branche fleurie ou décorée. On songe également aux danses qui se déroulent un peu partout en Europe autour de l’Arbre de mai dont le mas évoque lui aussi les vestiges des rituels qui se déroulaient au printemps autour des arbres sacrés un peu partout dans l’Europe préchrétienne. Le culte rendu à certains arbres était un des éléments essentiels de l’univers rituel païen de l’Europe.
En effet, de même que certaines montagnes, rochers, grottes ou sources, certaines futaies particulières (de houx par exemple), étaient considérés comme particulièrement empreints de la force du monde des esprits et propices à leur manifestation. À Beltane le culte des arbres est donc resté vivace. Ce culte rendu aux arbres a perduré pendant toute l’Antiquité. En même temps qu’advenaient les embryons de la civilisation, ils devinrent la résidence privilégiée d’une déesse ou d’un dieu, dotée d’un périmètre sacré. Celui-ci, empreint d’une aura « numineuse », avait pour but de susciter crainte et admiration, par opposition aux espaces terrestres désormais perçus comme davantage profanes. Cependant, les danses autour de l’Arbre de Mai ont conservé la vivacité ludique d’une époque antérieure à la naissance des seigneuries divines.
Les sources
Quant au culte printanier rendu aux sources, il tient aussi une place importante dans ce qui reste des célébrations de Beltane.
Et là encore on peut entrevoir la dimension fondamentalement féminine de cette fête. Le principe féminin primordial se cache sous la terre, mais le « Sidh » des irlandais, aussi désigné comme le « monde des femmes » (Tir na mBan), est aussi séparé du monde visible par les eaux, tout comme Avallon, l’Ile du Géant gardien des fruits magiques, ou le Jardin des Hespérides.
La vie se cache sous les fontaines et les grottes. C’est donc aussi la demeure de la figure féminine originelle, de la vouivre ou de quelque autre reptile aquatique. C’est la matrice invisible de la vie, qui étanche la soif, irrigue notre terre, purifie les corps, mais au sein de laquelle toute vie doit un jour retourner.
Matthieu Smyth
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