Parmi les nouvelles formes de structures sociales qui remplacent les institutions religieuses, ou du moins qui remplacent certaines fonctions dévolues autrefois aux religions, certaines peuvent être détectées, curieusement, au sein de l’industrie du Fitness. Cette industrie met plutôt l’accent sur une offre d’épanouissement personnel. La dynamique communautaire est souvent ignorée, mais pas toujours. C’est d’ailleurs la marque distinctive de certaines entreprises récentes de fitness, dont le succès ne se dément pas, que d’avoir su créer une puissante dynamique de groupe dont leurs clients sont avides.
Une porte de salut ?
Des exercices simples (baptisés abusivement « fonctionnels »), peu de matériel, des salles minimalistes mais caractéristiques, un énorme stress physique, une dimension compétitive plutôt axée sur l’émulation, une doctrine prêchant l’excellence du groupe, mais surtout le sentiment d’appartenance à une petite élite solidaire tendue vers la perfection sportive… Il n’est pas difficile d’identifier ici les éléments parareligieux.
On peut même relever une adhésion aux dogmes du groupe (l’excellence supposée de la pratique sportive en question), l’adoption d’un nouveau mode de vie comme la diète paléo, le choix de vêtements distinctifs, un regard condescendant sur ceux qui n’adhèrent pas au groupe, et un rejet émotionnel des critiques externes qui évoquent les mouvements religieux repliés sur eux-mêmes. Il est d’ailleurs bien connu que l’appartenance à un groupe religieux sectaire est capable d’offrir de grandes satisfactions à un cerveau fragilisé par le stress émotionnel, à la manière d’un produit toxique addictif.
Ajouter du stress au stress…
Bien entendu, les promesses faites par les géants de l’industrie du Fitness sont en très grande partie fallacieuses. Au lieu de devenir incroyablement « fit », les adeptes de ce genre de pratiques se ruinent le corps et accentuent la somme totale de stress accumulée. Loin d’être fonctionnels, les exercices proposés contrarient en particulier notre biomécanique de bipède contralatéral (nous ne sommes pas des kangourous, nos mouvements ne sont pas normalement symétriques) : de ce fait ils créent des associations musculaires qui violent l’ordre de nos chaînes cinétiques naturelles.
En outre, ces mouvements sont trop intenses et trop nombreux, donc mal effectués. Des compensations biomécaniques vont se mettre en place pour parvenir malgré tout à effectuer une réplique de ces mouvements, lesquelles compensations produisent rapidement des blessures graves (par exemple les pompes trop nombreuses sont compensées par un relâchement lombaire catastrophique).
Et nous ne sommes pas faits pour accomplir des mouvements intenses sur une longue durée mais sur une courte, et ce, sans négliger un repos conséquent : l’ignorer c’est s’infliger un stress excessif. Avoir envie de vomir dans l’effort n’est pas le signe du succès mais un message désespéré du système nerveux. Sans oublier que, après une journée de travail, on rajoute un stress particulier au stress général quotidien.
Ce n’est pas un culte du corps
Ce genre de nouvelles religiosités ne rend pas un culte au corps comme on l’entend parfois. Ni dans les faits, ni dans leur intention. Leurs adeptes n’ont pas d’ailleurs des ambitions si esthétiques.
Ils cherchent surtout — et on les comprend — à contrecarrer le stress chronique auquel ils sont soumis dans leur vie, ainsi que les effets dévastateurs sur le métabolisme que ce stress engendre.
Face à un stresseur, la première réaction de tout organisme est de se déplacer. C’est notre instinct le plus profond. Notre mode de vie nous contraint à rester immobile face aux stresseurs, notamment dans le travail. Pas étonnant de ce fait que beaucoup d’humains cherchent à se libérer par le sport de la menace ressentie alors par notre organisme face à cette impuissance. Ce sentiment d’impuissance est d’ailleurs en partie contrecarré par l’empowerment que l’on ressent en réussissant à réaliser des mouvements physiques exténuants. Et puis les mouvements physiques violents volontairement répétés permettent de se gaver d’endorphine : l’hormone du bonheur…
Une porte inattendue vers le rituel
Mais on ne peut blâmer personne de vouloir s’extraire ne serait-ce que brièvement du cauchemar contemporain, et surtout de ne pas recourir, ce faisant, par exemple à une dose massive d’anesthésiant synthétique.
Au contraire : il s’agit de se réunir, dans un lieu bien défini, et à intervalle régulier, avec d’autres personnes bienveillantes au sein d’un groupe où l’on perçoit des affinités de type communautaire parce que l’on partage des ressentis similaires. On a le sentiment du reste d’accomplir quelque chose ensemble, quelque chose qui n’est pas abstrait mais où le corps est totalement engagé.
On s’épaule dans l’effort. On ressent jusque dans ses tripes le lien qui unit biologiquement les humains, et la paix profonde qui accompagne la redécouverte de notre sociabilité. La tendance à adopter une tenue vestimentaire commune (exploitée commercialement sans vergogne certes) peut prêter à rire, mais au fond elle s’inscrit dans cette perspective. Oui, comme tous les mouvements néo- ou para- religieux contemporains, cette branche de l’industrie du fitness comporte son lot d’aberrations, mais il faut être attentif à ce langage symbolique social – rituel si l’on veut – qui reflète des aspirations profondément humaines.
Matthieu Smyth
Professeur d'anthropologie, Université de Strasbourg France