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L’Homme sauvage

Dernière mise à jour : 28 févr. 2023



L’Homme sauvage

En Europe, les masques les plus anciens qui ont traversé les époques dans les régions isolées figurent le plus souvent des géants surgissant de la forêt au milieu du village, les Hommes (et parfois des femmes) sauvages ou les animaux, comme l’ours, le cheval ou le cerf, qui s’en approchent.

On remarque aussi les figurations de la pleine lune et de la nouvelle lune avec lesquelles les premières se combinent souvent. Sans négliger cependant que nous sont parvenues quelques figurations de la transmission du souffle spirituel, ou encore des esprits aquatiques et ouraniens.

La saison froide

Ici ou là, il existe encore des carnavals de printemps et d’été. Cependant, les principaux défilés carnavalesques qui ont réussi à traverser les siècles jusqu’à nous, malgré les siècles de christianisme puis de modernité, sont les célébrations liées à la saison froide : elles marquent le début des frimas, les tous premiers signes de la renaissance printanière, ainsi que le temps qui s’écoulent entre les deux.

Cela correspond aux cycles des fêtes qui s’étendent de la pleine lune de la fin de l’automne, à mi-chemin entre l’équinoxe d’automne et le solstice d’hiver, jusqu’à celle de la fin de l’hiver, entre le solstice d’hiver et l’équinoxe de printemps, connues sous les noms celtiques de Samain et Imbolc.


En effet, en Europe du nord ou dans nos contrées montagneuses, c’est en hiver que la vie humaine est confrontée au manque de nourriture et de chaleur, et que le cycle de la vie trouve son expression la plus dramatique. La vie semble disparaître sous la terre pour renaître des profondeurs lorsque les jours rallongent enfin.


Souvent, à la fin de l’hiver, un grand mannequin personnifiant le changement de saison, tantôt à l’effigie de la rigueur de l’hiver tantôt de l’abondance de nourriture, est mis à mort. L’esprit tutélaire tombe et se relève. La Toussaint, la Saint Martin, la Saint Hubert, la Saint Nicolas, Noël, la Saint Jean d’Hiver, les Innocents, la Saint Sylvestre, l’Epiphanie, la Chandeleur, la Saint Antoine, la Sainte Brigitte, la Saint Blaise, la Saint Valentin, ou encore Mardi gras ont permis à cette liturgie animiste de s’intégrer à celle du christianisme.

Le grand tumulte

La symbolique du défilé carnavalesque et de son tintamarre figure avant tout le grand tumulte des esprits de la forêt envahissant le monde ordonné des vivants. C’est ce qui permet au souffle de la vie, en particulier la fécondité, de continuer de s’y frayer un chemin.


La mémoire de ce mythe nous en est restée également à travers le charivari nuptial. Nous pour pourrions aussi mentionner les diverses processions autour du cheval que connaît l’Europe au printemps comme le ‘Obby ‘Oss de Cornouaille (et même parfois d’un dragon telle la Tarasque méridionale). Ce rituel s’est reflété enfin dans la croyance médiévale en la Chasse sauvage, la Mesnie Hellequin, que l’on apercevait quatre fois par an lors des tempêtes soudaines à chaque saison…

Si les menaces que font planer parfois les forces de la nature sur la communauté sont mises en scène, le jeu, le banquet, le rire et la transgression sont là pour les défier.

Les simples mais intenses joies de la fête contribuent aussi à faire tomber pour un temps les barrières entre ce monde et celui des esprits. Nous ne sommes pas encore dans un monde scindé par une fracture entre profane et sacré. Il y a le monde caché des esprits et le nôtre visible, mais ceux-ci ne sont pas strictement hiérarchisés par une relation transcendante. Au contraire, il se superposent et s’imbriquent. Ces célébrations pleines de rires, de bruits et mouvements, ignorent donc le silence et le recueillement. Nous ne sommes pas devant un « tout autre » situé hors du monde qui inspirerait une crainte impuissante.

Texte : Matthieu Smyth - Professeur Anthropologie Université Strasbourg

Illustration : Tanit Agency

Photos : ©claudiaturfauquex

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