Ce qui ne nous tue pas mais nous détruit ne rend donc pas plus fort. Mais alors qu’est-ce qui nous rend plus fort pour de bon ?
Il faut justement commencer par distinguer le stress acceptable du stress excessif. Si une agression dépasse les capacités de défense de notre organisme, sa réponse —le stress— est inefficace et excède ce que l’organisme peut supporter : il va au-delà de la fourchette supérieure de sa résilience. Comme chez les autres animaux complexes, notre système nerveux autonome (c’est-à-dire qui fonctionne indépendamment de notre volonté) s’adapte à certains stresseurs en nous mobilisant pour les fuir ou les combattre.
Mais lorsque ce stress est excessif, car nous sommes impuissants face à ce qui le cause, si par exemple nos mouvements sont entravés pour des raisons matérielles ou émotionnelles, alors nous n’avons pas d’autres choix que de nous figer dans cette impuissance morbide, d’une certaine manière en l’embrassant. C’est une tactique de survie ultime. L’activité vitale s’effondre. A ce point, l’animal (hors laboratoire) meurt, ou, s’il déjoue par miracle le danger, s’arrache sans dommage à cet état de collapsus. Mais pour nous humains les choses sont plus complexes. Si la menace ne s’éloigne pas, ou même si nous la ressentons toujours présente —ce qui est une tendance humaine—, notre système de défense reste figé dans l’instant de l’agression, figé dans une certaine impuissance. C’est l’essence du traumatisme. Le temps s’arrête pour les éléments de notre organisme qui ont été davantage mobilisés dans le mécanisme de défense. Nous vivrons désormais dans un stress chronique. En nous y adaptant certes. Mais par de multiples compensations corporelles et comportementales plus ou moins malsaines.
Qu’en est-il alors du stress que notre organisme peut supporter ?
Effectivement, ici, l’aphorisme de Nietzsche est valide. Ce stress nous est bénéfique et même nécessaire. Vital.
S’adapter et lutter font partie de notre ADN d’être vivant, au point que l’absence totale de stress est mortifère. Cela est vrai au plan cellulaire. Notre organisme bénéficie d’une stimulation modérée de toxines et d’autres stresseurs. Nos mécanismes de réparation ont besoin d’être stimulés. L’inhibition constante est mortelle.
L’exercice physique fournit un bel exemple de ce processus connu sous le nom d’hormèse. Une activité physique insuffisante ou excessive sont toutes deux associées à un stress oxydatif néfaste. Cependant, les effets bénéfiques à long terme d’exercices physiques intenses sont une forme d’hormèse liée au stress oxydatif. Et il est aisé d’étendre par analogie ce concept à d’autres effets bénéfiques du stress au-delà de l’échelle cellulaire. Toujours dans cette même ligne, on songe au stress que représente l’activité physique intense pour l’ensemble de l’organisme, du point de vue musculaire, hormonal et neurologique. L’adaptation compensatrice à ce stress représente le gain de force. La sagesse séculaire connaît les effets bénéfiques des stimulations ponctuelles par le stress que provoquent la chaleur, le froid, le jeûne, le danger… Jusque dans une certaine limite, notre système nerveux apprend ainsi à élargir sa fourchette de résilience. Il en va de même pour l’activité cognitive. Nous le savons bien. Notre intelligence a désespérément besoin de stimuli pour se développer (et certainement pas d’anesthésiants comme les écrans en inondent les enfants).
Notre cerveau est même programmé pour aimer l’effort, la quête, le risque. Notre plus grand bonheur se trouve non pas dans la récompense mais dans l’expectative désirante… C’est la raison d’être du circuit cérébral dopaminergique. Celui qu’active la dopamine, le plus gratifiant des neurotransmetteurs. Celui qui nous pousse à vouloir. Nous ne sommes pas nés pour la jouissance paisible.Arrivé à ce point, il nous faut boucler la boucle.
Nous sommes tous à des degrés divers victimes d’une forme d’impuissance qui nous a été apprise « pour notre bien ».
Enfants, au moins à l’école, dans nos sociétés, il est impossible que nous n’ayons pas un jour ou l’autre été placés dans une situation d’impuissance face à des adultes perçus comme menaçants bien que sensés nous protégés. Une chose que notre cerveau d’enfant ne peut enregistrer que comme un danger mortel mais qu’il est incapable de « traiter » car nous sommes programmés pour faire confiance à ceux qui devraient prendre soin de nous.
Nous étions sans défense face à eux. Et notre corps en porte le poids. Notre résilience face aux sources de stress s’en retrouve d’autant réduite. Notre motricité subtilement entravée : des réponses de fuites et de combats bloquées dans les tréfonds de notre cerveau restreignent nos mouvements. Le stress chronique, dans lequel l’organisme s’installe, dérègle notre activité hormonale et notre réponse immunitaire. Le système nerveux désorienté induit une anxiété ou une agressivité chroniques, voire nous coupe de ces émotions.La liste est longue… Ce sont les fruits de la manière de faire de notre système éducatif. Il conditionne nos corps par la peur pour le bénéfice de la cité, autant qu’il nous invite à toujours penser selon l’avis du maître.
Le chemin de la force passe donc nécessairement, à un moment ou à un autre, par une « désapprentissage » de cette impuissance.
Soyons en certains, tout au fond de notre corps, nous aspirons à une vie forte et saine, et nous haïssons ces stratégies de survie que nous croyons avoir apprises à aimer pour nous adapter. Cet élan primal est accessible. Immédiatement. Il affleure partout dans notre corps.
Nous y reviendrons.
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